Une Promenade, ou :

Arrêté sur le chemin du suicide

C’était un beau matin ensoleillé ; le calme du dimanche était répandu sur la nature. Les cloches de la petite église avaient invité les villageois à venir au sermon du matin ; ils s’y étaient rendus en grand nombre. Le village était plongé dans une tranquillité extraordinaire. À ce moment un jeune homme suivait la rue principale, dirigeant ses pas vers le cimetière qui de trois côtés entourait l’église. Quelle était son intention ? Se rendre à l’église ? Non. Se promener ? Pas davantage. Ses traits exprimaient une sombre résolution. Il se rendait vers une gorge isolée, qui se trouve derrière l’église et le cimetière, pour mettre fin à ses jours. Ses parents étaient chrétiens et lui avaient donné une éducation religieuse, mais il s’était écarté du droit chemin pour suivre celui du péché. Il avait quitté la maison paternelle depuis quelques années, et la boisson, le jeu, la débauche l’avaient ruiné de corps et d’âme. Il avait honte et peur de retourner chez ses parents ; il ne croyait plus en Dieu ; il en avait assez de sa misérable vie, et pensait que la mort mettrait fin à sa misère.

On n’arrivait à la gorge qu’en traversant le cimetière et en longeant l’église jusqu’à une porte percée dans le mur de clôture. Le jeune homme marcha très vite jusqu’à ce qu’il eut atteint le cimetière. Encore quelques pas et tout sera fini ! Il avançait, les yeux fixés sur le sentier. Il se disait qu’il voyait pour la dernière fois cette belle nature souriante dans sa beauté printanière : tout allait être fini ! C’était une affreuse pensée ! Il accéléra le pas, comme s’il eût craint de ne pouvoir accomplir son dessein. À son grand étonnement il s’aperçut qu’il marchait sur des dalles et leva les yeux. Qui pourrait dire son effroi de se trouver au milieu de l’église au lieu d’être dans le ravin. Là où le chemin de la gorge tournait à gauche, il avait continué de marcher droit devant lui et était entré dans l’église par la porte ouverte ! Les villageois le regardaient avec étonnement et curiosité, car le service était commencé depuis longtemps ; on avait chanté le cantique ; la prière était terminée et le pasteur avait déjà lu son texte et commencé son sermon. Le jeune homme regardait autour de lui tout troublé, mais sa confusion atteignit le plus haut degré quand du haut de la chaire retentirent ces paroles

« Le suicide est l’acte le plus présomptueux d’incrédulité et de péché, qu’un homme puisse commettre. Pour se soustraire à sa misère ici-bas, il va se livrer à la condamnation éternelle, à laquelle il n’y a pas espoir d’échapper. Il dispose de la vie que Dieu lui a donnée et dont il est responsable, il la rejette pour apparaître devant le Dieu saint, son juge ».

Le jeune homme resta comme pétrifié jusqu’à la fin du sermon. Le pasteur, un homme vraiment chrétien, montra quel est le seul moyen d’échapper non seulement à la condamnation éternelle, mais aussi à la misère actuelle du péché. Il annonça avec beaucoup d’amour et de puissance la bonne nouvelle de la purification de tout péché par le sang de Jésus Christ ; mais, ce qui frappa surtout l’auditoire, il s’adressa ce matin-là tout spécialement à chaque âme qui se sentait trop coupable, trop misérable, trop malheureuse pour porter plus longtemps son fardeau, — à chaque âme que Satan poussait à commettre le terrible péché du suicide, pour se délivrer de ses souffrances physiques et morales. « C’est Jésus, le Sauveur, » répéta-t-il plusieurs fois, « et non Satan, le Destructeur, qui seul peut donner le repos et la paix, maintenant et pour l’éternité, à l’homme que sa conscience tourmente. Jésus vous invite à venir : « Venez à moi, vous tous qui vous fatiguez et qui êtes chargés, et moi, je vous donnerai du repos. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi, car je suis débonnaire et humble de cœur ; et vous trouverez le repos de vos âmes ! » (Matth. 11:28-30).

Lorsque le sermon fut terminé et que l’auditoire se fut dispersé, le jeune homme se rendit dans la sacristie auprès du pasteur et lui raconta ce qui lui était arrivé. Il ne lui cacha rien, ni la triste vie qu’il avait menée, ni son projet de suicide échoué. Il dit en terminant : « Je remercie Dieu de ce qu’Il n’a pas permis que j’exécute ce projet ! Je sais maintenant qu’il reste encore de l’espoir pour un homme tel que moi ».

Le pasteur écoutait ce récit sans cacher son étonnement et sa joie. Alors il raconta de son côté qu’il avait été prié de parler ce jour-là sur le suicide. Un jeune officier d’une caserne voisine avait menacé de se tuer. Les officiers et soldats de la caserne assistaient chaque dimanche au sermon dans la petite église et l’un d’eux, un chrétien, était venu le jour précédent prier instamment le pasteur de prêcher spécialement en vue du jeune officier. Il évitait intentionnellement tous ceux qui auraient pu lui parler de son âme, et son camarade espérait qu’il entendrait à l’église un mot sérieux sans pouvoir s’y soustraire.

Le pasteur fut très embarrassé de voir que cet officier manquait dans les rangs des soldats, mais il avait ardemment supplié Dieu de lui donner une parole pour ce jeune homme, et avait le sentiment que Dieu l’exauçait et lui donnait ce qu’il devait dire. C’est pour cela qu’il n’avait pas osé supprimer ces paroles, quoique l’homme auquel elles étaient destinées ne fût pas présent. Maintenant il savait pourquoi le Seigneur l’avait dirigé. C’était à cause de son grand amour pour cet étranger, fils de parents qui craignaient Dieu, brebis perdue que le bon Berger cherchait depuis longtemps et avait enfin trouvée.

Le fils prodigue fut converti. Il retourna à la maison paternelle, et quand j’appris son histoire, il servait fidèlement depuis plusieurs années son nouveau Maître. Il était marié, très heureux avec sa femme, et ses affaires étaient prospères ; mais son bonheur reposait réellement sur la certitude qu’il faisait partie de la foule de « ceux qui ont passé de la mort à la vie ». Il appartenait au Seigneur avec tout ce qu’il possédait et désirait ardemment être conduit en toutes choses par la main qui l’avait guidé une fois à travers le cimetière dans un sentier qu’il ne connaissait ni ne cherchait, et qui l’avait amené à la source de la vie éternelle, au lieu de l’avoir laissé descendre dans la vallée de la mort et de la perdition.