H. Rossier — Courtes méditations — n°11
ME 1922 p. 49-52
D’où vient que l’apôtre
employait le don de grâce qu’il avait reçu à exhorter chacun de ceux qui
étaient parmi les chrétiens de Rome à n’avoir pas « une haute
pensée de lui-même
» ? C’est qu’il réalisait
pleinement de son côté les deux premiers versets de ce chapitre. Il se
considérait comme mort avec Christ et comme ayant été mis par là en pleine
liberté de l’esclavage de la chair. Il considérait la volonté
de la chair qui ne se soumet jamais à celle de Dieu,
comme absolument jugée et condamnée sur la croix, dans la personne de notre
Substitut. Cette question de la chair était liquidée pour lui de manière à ce
qu’il ne fût jamais obligé d’y revenir. Il avait cru ce que Dieu lui disait. Il
se tenait lui-même pour mort au péché ; mais maintenant il vivait à Dieu,
comme Christ vit à Dieu après « être mort une fois pour toutes au péché ». Il
pouvait se tenir devant Dieu, considérant sa volonté
propre comme définitivement jugée et condamnée ; mais
son corps,
assujetti jadis aux
convoitises de la chair, en était maintenant délivré : c’était un corps, sans volonté
pour ainsi dire, mais qui
pouvait s’offrir en toute liberté, en vertu de la nouvelle vie qu’il possédait
en Christ, comme instrument de justice à Dieu. Il présentait donc son corps en
sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu et exhortait ses frères à faire de
même.
Désormais, vivant à Dieu de
la même vie que Christ, il était capable d’apprécier la volonté de Dieu
et d’en jouir.
Mais n’oublions pas que,
malgré cette vie nouvelle, la chair est toujours en nous et y sera tant que
nous vivrons dans ce monde, quoique nous ne soyons plus dans la chair. Aussi
avons-nous besoin d’être continuellement exhortés à marcher comme étant libérés
du vieil homme pour être asservis à Dieu. Si nous donnons la moindre prise à la
volonté de la chair, nous allons au devant d’une défaite certaine. L’apôtre,
évitant ce danger pour lui-même, était capable d’exhorter les autres à suivre
le même chemin. Notre défaite consiste à donner de l’importance au moi
,
à penser du bien de notre vieil homme dans la chair. Ce vieil homme en nous est
si haïssable qu’il peut lui arriver de se parer des libres dons de la grâce de
Dieu pour se mettre en relief et s’enorgueillir. Ce n’était pas ce que faisait
l’apôtre : il était si affranchi du vieil homme qu’il employait « la grâce
qui lui était donnée » à exhorter ses frères pour qu’ils demeurassent dans
l’humilité. La jouissance de la volonté de Dieu nous empêche de mettre le moi
en avant, car elle condamne absolument la volonté du vieil homme. Si je l’ai
jugé, comment pourrais-je avoir « une haute pensée de moi-même » ? Or ces
chrétiens de Rome avaient besoin d’une exhortation continuelle à ce sujet,
parce qu’ils ne pouvaient pas dire comme l’apôtre : « Je suis crucifié avec
Christ, et je ne vis plus moi, mais Christ vit en moi », et que chez eux, le
vieil homme était toujours prêt à relever la tête. Ils étaient en danger de se
servir des grâces accordées au nouvel
homme
pour en orner le vieil homme
et s’estimer supérieur à d’autres
qui avaient aussi reçu des dons de grâce pour l’édification du corps de Christ.
L’apôtre, lui, avait réalisé la mort avec Christ dans toute son étendue, aussi
pouvait-il exhorter les autres sur ce pied-là. Demandons-nous si cette
exhortation ne nous atteint pas bien plus encore que les chrétiens de Rome, et
si nous ne ménageons pas d’habitude à la volonté du vieil homme une porte de
derrière par laquelle il peut s’échapper et se faire valoir.
Ce n’est que dans la mesure
où je me tiens pour mort que je perds toute haute pensée de mon importance. Non
que je ne doive pas me rendre compte de la valeur du don que Dieu m’a confié.
L’apôtre recommande à ces chrétiens de Rome de « penser de manière à avoir de saines pensées
, selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun ». Si Dieu m’a
donné un « don de grâce », je dois l’estimer parce qu’il vient de lui et
le « ranimer » au besoin, mais non pas m’en parer ou m’en faire valoir. C’est ce
dont l’apôtre donnait l’exemple quand il disait : « Je n’ai été en rien
moindre que les plus excellents apôtres, quoique je ne sois rien » (2 Cor.
12:11).
On pourrait conclure de notre passage que si nous employons nos dons à recommander l’humilité aux autres, c’est que nous n’avons pas la pensée de nous en attribuer quelque mérite. Il peut cependant arriver, tant le coeur naturel est rusé, que tel chrétien doué recommande aux autres l’humilité, tandis qu’il est dominé par l’orgueil — souvent soigneusement dissimulé — de sa propre importance. On peut voir des chrétiens offensés dès que d’autres mettent en question la valeur de leur ministère. Il n’en était pas ainsi de l’apôtre ; attaqué de toutes parts, il remettait au Seigneur le soin de le justifier et, s’il avait à se défendre, il ne le faisait qu’en vue de l’édification de l’assemblée (2 Cor. 12-13).
Faisons comme lui ; employons d’une manière intelligente ce que Dieu nous a donné, pour l’édification du corps de Christ. Gardons chacun la place que le Seigneur nous a assignée, afin que tous les organes de son corps étant en exercice, et chacun à sa place, il y ait dans le corps un fonctionnement selon Dieu et pour le bien de tous. Ne cherchons pas à nous attribuer ce que Dieu a donné à d’autres, qu’il s’agisse de prophétie, de service, d’enseignement ou d’exhortation, mais avant tout, en un temps où les fondements sont ébranlés, « que l’amour fraternel demeure ! » (Rom. 12:9-10 ; Hébr. 13:1).