Henri Rossier — Courtes méditations

« Avoir de saines pensées » — Rom. 12:3

H. Rossier — Courtes méditations — n°11

ME 1922 p. 49-52

D’où vient que l’apôtre employait le don de grâce qu’il avait reçu à exhorter chacun de ceux qui étaient parmi les chrétiens de Rome à n’avoir pas « une haute pensée de lui-même » ? C’est qu’il réalisait pleinement de son côté les deux premiers versets de ce chapitre. Il se considérait comme mort avec Christ et comme ayant été mis par là en pleine liberté de l’esclavage de la chair. Il considérait la volonté de la chair qui ne se soumet jamais à celle de Dieu, comme absolument jugée et condamnée sur la croix, dans la personne de notre Substitut. Cette question de la chair était liquidée pour lui de manière à ce qu’il ne fût jamais obligé d’y revenir. Il avait cru ce que Dieu lui disait. Il se tenait lui-même pour mort au péché ; mais maintenant il vivait à Dieu, comme Christ vit à Dieu après « être mort une fois pour toutes au péché ». Il pouvait se tenir devant Dieu, considérant sa volonté propre comme définitivement jugée et condamnée ; mais son corps, assujetti jadis aux convoitises de la chair, en était maintenant délivré : c’était un corps, sans volonté pour ainsi dire, mais qui pouvait s’offrir en toute liberté, en vertu de la nouvelle vie qu’il possédait en Christ, comme instrument de justice à Dieu. Il présentait donc son corps en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu et exhortait ses frères à faire de même.

Désormais, vivant à Dieu de la même vie que Christ, il était capable d’apprécier la volonté de Dieu et d’en jouir.

Mais n’oublions pas que, malgré cette vie nouvelle, la chair est toujours en nous et y sera tant que nous vivrons dans ce monde, quoique nous ne soyons plus dans la chair. Aussi avons-nous besoin d’être continuellement exhortés à marcher comme étant libérés du vieil homme pour être asservis à Dieu. Si nous donnons la moindre prise à la volonté de la chair, nous allons au devant d’une défaite certaine. L’apôtre, évitant ce danger pour lui-même, était capable d’exhorter les autres à suivre le même chemin. Notre défaite consiste à donner de l’importance au moi, à penser du bien de notre vieil homme dans la chair. Ce vieil homme en nous est si haïssable qu’il peut lui arriver de se parer des libres dons de la grâce de Dieu pour se mettre en relief et s’enorgueillir. Ce n’était pas ce que faisait l’apôtre : il était si affranchi du vieil homme qu’il employait « la grâce qui lui était donnée » à exhorter ses frères pour qu’ils demeurassent dans l’humilité. La jouissance de la volonté de Dieu nous empêche de mettre le moi en avant, car elle condamne absolument la volonté du vieil homme. Si je l’ai jugé, comment pourrais-je avoir « une haute pensée de moi-même » ? Or ces chrétiens de Rome avaient besoin d’une exhortation continuelle à ce sujet, parce qu’ils ne pouvaient pas dire comme l’apôtre : « Je suis crucifié avec Christ, et je ne vis plus moi, mais Christ vit en moi », et que chez eux, le vieil homme était toujours prêt à relever la tête. Ils étaient en danger de se servir des grâces accordées au nouvel homme pour en orner le vieil homme et s’estimer supérieur à d’autres qui avaient aussi reçu des dons de grâce pour l’édification du corps de Christ. L’apôtre, lui, avait réalisé la mort avec Christ dans toute son étendue, aussi pouvait-il exhorter les autres sur ce pied-là. Demandons-nous si cette exhortation ne nous atteint pas bien plus encore que les chrétiens de Rome, et si nous ne ménageons pas d’habitude à la volonté du vieil homme une porte de derrière par laquelle il peut s’échapper et se faire valoir.

Ce n’est que dans la mesure où je me tiens pour mort que je perds toute haute pensée de mon importance. Non que je ne doive pas me rendre compte de la valeur du don que Dieu m’a confié. L’apôtre recommande à ces chrétiens de Rome de « penser de manière à avoir de saines pensées, selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun ». Si Dieu m’a donné un « don de grâce », je dois l’estimer parce qu’il vient de lui et le « ranimer » au besoin, mais non pas m’en parer ou m’en faire valoir. C’est ce dont l’apôtre donnait l’exemple quand il disait : « Je n’ai été en rien moindre que les plus excellents apôtres, quoique je ne sois rien » (2 Cor. 12:11).

On pourrait conclure de notre passage que si nous employons nos dons à recommander l’humilité aux autres, c’est que nous n’avons pas la pensée de nous en attribuer quelque mérite. Il peut cependant arriver, tant le coeur naturel est rusé, que tel chrétien doué recommande aux autres l’humilité, tandis qu’il est dominé par l’orgueil — souvent soigneusement dissimulé — de sa propre importance. On peut voir des chrétiens offensés dès que d’autres mettent en question la valeur de leur ministère. Il n’en était pas ainsi de l’apôtre ; attaqué de toutes parts, il remettait au Seigneur le soin de le justifier et, s’il avait à se défendre, il ne le faisait qu’en vue de l’édification de l’assemblée (2 Cor. 12-13).

Faisons comme lui ; employons d’une manière intelligente ce que Dieu nous a donné, pour l’édification du corps de Christ. Gardons chacun la place que le Seigneur nous a assignée, afin que tous les organes de son corps étant en exercice, et chacun à sa place, il y ait dans le corps un fonctionnement selon Dieu et pour le bien de tous. Ne cherchons pas à nous attribuer ce que Dieu a donné à d’autres, qu’il s’agisse de prophétie, de service, d’enseignement ou d’exhortation, mais avant tout, en un temps où les fondements sont ébranlés, « que l’amour fraternel demeure ! » (Rom. 12:9-10 ; Hébr. 13:1).