par Henri Rossier
1 - CHAPITRE 1 — La nation et le résidu — Luc 1 à 3
2 - CHAPITRE 2 — Naissance de Jean Baptiste — Luc 1:15
3 - CHAPITRE 3 — Jean Baptiste dans le désert — Luc 1:80 ; Matthieu 3:4
4 - CHAPITRE 4 — Jean Baptiste prophète — Matthieu 3
5 - CHAPITRE 5 — Jean Baptiste, homme et témoin — Jean 1 ; 3:28-31
6 - CHAPITRE 6 — Défaillance de Jean Baptiste — Matthieu 11
7 - CHAPITRE 7 — Mort de jean Baptiste — Matthieu 14:1-12 ; Marc 6:14-29
Que le lecteur ne se méprenne pas au titre de ce petit ouvrage. Le sujet en est moins Jean le Baptiseur, que Christ. Tout importante et intéressante que soit sa personnalité, Jean ne peut être que comme un fond de tableau, destiné à mettre en relief Celui qui était plus grand que lui ; et c’est ainsi, ses paroles et toute sa vie en font foi, que le prophète lui-même aurait écrit son histoire.
Le chapitre 1° de l’évangile de Luc nous fait pénétrer d’une manière très vivante dans les circonstances d’Israël, telles que les trouva le précurseur et qu’elles précédèrent la manifestation du Messie. Un grand changement était survenu dans les circonstances d’Israël, depuis les jours de Néhémie : le dernier empire universel des gentils avait assujetti le peuple ; mais moralement, l’état de ce dernier ne différait guère de celui que le prophète Malachie nous révèle 450 ans avant le Christ. Israël n’était plus en guerre ouverte avec l’Éternel ; les faux dieux avaient disparu de la maison balayée et parée ; le figuier était couvert des feuilles d’une profession bien apparente, mais sous cette apparence se cachait une stérilité absolue. L’indifférence et l’insensibilité, pires que la haine, étaient au fond du coeur de ce peuple. L’un des caractères de l’apostasie est d’estimer que Dieu ne vaut plus la peine qu’on pense à Lui, et les hommes d’aujourd’hui sont en train de le jeter au rebut comme un Dieu vieilli. Ce qui courbera dans la poussière le front repentant du résidu d’Israël, lorsque leurs yeux seront enfin ouverts sur Christ, ce sera d’avoir pu passer avec indifférence à côté de l’homme de douleurs, sans éprouver pour lui aucune estime (És. 53).
Tels étaient déjà au temps de
Malachie les rapports d’Israël avec Dieu. Quand l’Éternel, de sa voix la plus
tendre, leur disait : « Je vous ai aimés », ils répondaient : « En quoi
nous as-tu aimés ? » car ils ignoraient le coeur de Dieu. Lorsqu’il disait
aux sacrificateurs : « Vous avez méprisé mon nom », ils répondaient : « En
quoi avons-nous méprisé ton nom ? » aveuglés qu’ils étaient sur leur propre
état et sur leurs transgressions. Ils apportaient la souillure à la table de
l’Éternel et lui offraient des victimes tarées, parce que, malgré toutes leurs
formes religieuses, Dieu était absent de leur coeur et de leur vie, et qu’ils
n’avaient pas la moindre conscience
du
déshonneur qu’ils jetaient sur Lui (Mal. 1).
Une telle religion finit une fois ou l’autre par sembler superflue à ceux qui la pratiquent. À quoi bon ? « Quel ennui », disent-ils (Mal. 1:13). C’est ainsi que le coeur du professant s’exprime, et si, sous l’ennui religieux, il ne redevient pas idolâtre lui-même, il retourne bientôt au monde idolâtre, se joint à lui, « épouse », comme dit le prophète, « la fille d’un dieu étranger », et devient une même chair avec elle aux yeux du Dieu vengeur qui exercera le jugement sur tous deux (Mal. 2:11-16).
C’est là, pour le chrétien lui-même, un grand danger en ces temps de ruine. Asaph l’exprimait ainsi : « C’est pourquoi son peuple se tourne de ce côté-là » (du côté des méchants), « quand on lui verse l’eau à plein bord », quand arrivent pour lui des temps d’affliction qui contrastent avec la prospérité croissante du monde (Ps. 73).
Mais il est pour le croyant
un second danger plus subtil que celui-là, parce qu’il est plus plausible,
c’est de s’isoler
à mesure qu’il voit
grandir l’indifférence et la mondanité générales au milieu du peuple de Dieu.
Or cette tendance est exactement l’opposé de la pensée de Dieu pour les siens.
C’est précisément pour ces temps de ruine que le prophète nous dit : « Alors
ceux qui craignent l’Éternel ont parlé l’un à l’autre » (Mal. 3:16). L’apostasie
n’isole pas ceux qui craignent l’Éternel, elle les pousse à se réunir, comme il
est dit dans un Psaume : « Je suis le compagnon de tous ceux qui te
craignent » (Ps. 119:63). Il en est de même en tous les temps fâcheux de
l’histoire du peuple de Dieu ; il en fut ainsi pour les jeunes témoins de
la captivité de Babylone (Dan. 2:17) ; tel est aujourd’hui le cas dans les
temps périlleux de la fin (2 Tim. 2:22) ; il en fut ainsi, dans les heures
mornes qui suivirent la croix, quand les disciples, ignorants encore, parlaient
l’un à l’autre sur le chemin d’Emmaüs, et nous voyons cette parole se réaliser
d’une manière immédiate et éclatante dans ces premiers chapitres de l’évangile
de Luc.
« Ceux qui craignent l’Éternel ont parlé l’un à l’autre » ; c’est la ressource de la part de Dieu pour les temps de ruine. Au milieu du désert aride de la profession sans vie, voyez ces quelques fidèles se chercher, se trouver, s’entretenir ensemble. Marie et Élisabeth parlent l’une à l’autre, Zacharie et ses voisins s’entretiennent de ces choses, les bergers les divulguent, Siméon les annonce, Anne en parle « à tous ceux qui, à Jérusalem, attendaient la délivrance ».
Or, remarquons-le, il n’y a
qu’un seul
sujet d’entretien pour tous ces fidèles : c’est la
consolation d’Israël, c’est Christ, le Messie, c’est la personne du
Sauveur ; et une telle conversation plaît à Dieu, qui y est attentif et y
prête l’oreille. Il enregistre ces choses dans un livre de souvenir, dans un
livre spécial. Rien n’est plus agréable à Dieu que des coeurs qui apprécient
son Fils bien-aimé. Cher lecteur, il prend note de la valeur qu’a le nom de
Jésus pour vous et pour moi. Ceux qui auront apprécié Christ en ces jours
d’affliction auront en un jour futur, au jour de la gloire, l’intime
approbation de Dieu : « Ils seront à moi, dit l’Éternel des armées, mon
trésor particulier, au jour que je ferai » (Mal. 3:17). Une telle promesse
n’est-elle pas bien faite pour encourager nos âmes ?
« Ils ont parlé l’un à l’autre ». Cette occupation des fidèles s’allie avec les devoirs journaliers les plus simples de la vie, car Zacharie remplit ses fonctions sacerdotales, offre le parfum, Élisabeth est à la campagne, Marie voyage, les bergers gardent leurs troupeaux. Elle s’allie même avec l’inactivité apparente d’un Siméon qui habite Jérusalem, d’une Anne, vieille de 106 ans environ, cassée par l’âge, confinée au temple, mais conservant intacte la part la plus précieuse de son activité, la vie cachée de l’âme avec Dieu, nuit et jour. Mais voyez quel élément de fraîcheur et de joie la personne de Christ apporte dans les rapports de ces fidèles entre eux : les âmes débordent, l’entretien tourne à l’adoration ; ceux qui parlent l’un à l’autre réalisent nécessairement ce qu’est le culte (Luc 1:46, 68 ; 2:29).
Deux messages avaient été apportés par l’ange Gabriel, l’un touchant Jean Baptiste, l’autre touchant Jésus. Ces deux messages font naître des louanges dans la bouche de ceux auxquels ils s’adressent, mais dès avant sa naissance, Jean Baptiste, comme il le fera toujours, disparaît devant le Christ, pour laisser la place au cantique universel qui, des bouches de tous les fidèles, s’élève autour de ce petit enfant.
Élisabeth, qui célèbre-t-elle ? non pas son fils, mais le Seigneur. Et Zacharie, tout en annonçant la glorieuse mission de son enfant qui vient de naître, n’en parle que pour exalter le Seigneur, le Dieu d’Israël, la corne de délivrance, le Christ, le Très-Haut. Il en est toujours ainsi des vrais témoins. Les bénédictions que Dieu leur accorde ne sont pour eux que l’occasion de faire monter leurs louanges vers Celui qui est l’origine et le centre de ces bénédictions.
Les circonstances qui
accompagnèrent et précédèrent la première venue du Sauveur me semblent
s’appliquer en bien des points aux jours actuels. Comme alors (voyez Luc 3:1,
2), le monde s’organise toujours davantage et cherche dans ses institutions
même une cause de sécurité ; comme alors, sous la direction du monde,
règne une religion traditionnelle et orthodoxe, indifférente et propre juste,
toute mûre pour l’apostasie ; comme alors les sectes fleurissent,
semblables aux sadducéens rationalistes, aux Hérodiens qui déclarent excellent
le régime qu’ils traversent ; comme alors, le Seigneur est près de venir
ou plutôt de revenir…
Mais
l’heureux message produit-il aujourd’hui dans les coeurs des fidèles les mêmes
fruits qu’aux jours d’alors ? Ah ! qu’il y ait dans nos coeurs cette
fraîcheur d’espérance, ces divins rayons de l’astre du matin, paraissant pour
la foi dans la splendeur de son aube première, de l’astre couronné de grâce,
introducteur de la gloire, et dont la vue fait déborder le coeur d’une
ineffable adoration ! Chers lecteurs, si nous l’attendons, nous parlerons
l’un à l’autre, jusqu’au jour de gloire où nous serons le trésor particulier de
Celui qui vient.
L’ange Gabriel fut chargé
d’annoncer deux bonnes nouvelles, l’une à Zacharie le sacrificateur, l’autre à
Marie de Nazareth, mais les circonstances et la portée de ces deux messages
offrent plus de contraste que de similitude. Zacharie et sa femme étaient tous
deux justes devant Dieu, marchant dans tous les commandements et les
ordonnances du Seigneur, sans reproche ; et cependant la vieillesse
était arrivée pour eux et
Élisabeth était stérile
. Ne pouvons-nous pas voir en eux
l’image d’Israël pieux sous la loi, et de l’incapacité de cette dernière pour
produire du fruit même en l’homme régénéré ? Or elle ne produit pas plus d’intimité
avec Dieu que de fruit, car
Zacharie, cet homme d’une piété exemplaire, voyant l’ange, fut troublé, et la
crainte le saisit. Enfin, elle ne produit pas la confiance
, que la
grâce seule peut faire naître. Le sacrificateur sous la loi est incrédule
au message de grâce que
Gabriel lui apporte, aussi restera-t-il muet
, ce représentant d’Israël, jusqu’au
jour où la promesse divine ayant son accomplissement en grâce, il pourra, comme
le résidu plus tard, célébrer l’auteur de son salut.
Marie est non seulement une
âme pieuse, mais une âme humble et simple, un objet de grâce
et non pas un représentant de la loi. « Tu as trouvé
grâce devant Dieu », lui dit l’ange. Elle est soumise
: « Voici
l’esclave du Seigneur », et sa confiance
est en la parole de Dieu, car elle ajoute : « Qu’il me soit fait selon
ta parole » (Luc 1:30, 38).
Remarquez, maintenant, le
contraste entre les deux messages. Jean devait être « grand devant
le Seigneur
». De Jésus, l’ange dit : « Il sera
grand
». Nous reviendrons sur ce sujet dans une autre méditation.
Toute la grandeur de Jean Baptiste dépendait de la personne dont il était le
héraut, tandis que Jésus était grand en lui-même et par lui-même. Au soleil
levant je vois, du lieu où j’écris, l’ombre d’un châtaignier prendre des
proportions gigantesques, toutefois elle n’est pas l’image de la grandeur de
l’arbre, mais le témoin du lever et de la splendeur du soleil. Tel fut
Jean : grand, parce qu’il eut l’honneur insigne d’être le messager de
Celui dont l’ange disait : « Il sera grand et sera appelé le Fils du
Très-Haut ; et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son
père ; et il régnera sur la maison de Jacob à toujours, et il n’y aura pas
de fin à son royaume ! » (Luc 1:32, 33).
Mais ces paroles de Gabriel : « Il sera grand devant le Seigneur », n’expriment pas tout ce qui devait caractériser le Baptiseur, car il ajoute : « Et il ne boira ni vin, ni cervoise ». C’est le nazaréat ; c’en est du moins la première marque. Jean ne pouvait être grand devant le Seigneur qu’en étant nazaréen. Au chap. 6 des Nombres, nous voyons que le nazaréat consistait à « se séparer afin d’être à l’Éternel ». Il avait trois signes distinctifs : d’abord, le nazaréen s’abstenait de vin et de boissons fortes ; ensuite il laissait croître les cheveux de sa tête, et enfin n’entrait en contact avec aucune personne morte. Il se privait de vin, signe de joie pour le coeur de l’homme naturel en la société de ses semblables. Ses longs cheveux annonçaient qu’il abandonnait la dignité et les droits de l’homme pour être soumis à la volonté de Dieu, dont il reconnaissait les droits sur lui ; il évitait enfin tout ce qui l’amenait en contact avec le péché dont la mort est les gages. Tel était l’ordre et le secret du nazaréat. La séparation pour Dieu ne pouvait subsister qu’au prix de ces trois choses. Elles furent réalisées dans la vie de Jean Baptiste. Mais dans ce passage, il nous est présenté comme particulièrement séparé de ce qui constitue la joie de l’homme sociable. Le monde, en le voyant, disait sans doute : Ce personnage est un triste et lugubre misanthrope. Erreur ! cette joie naturelle, la seule que le monde connaisse, était remplacée dans le coeur du prophète par une joie ignorée du monde et qu’il ne pouvait apprécier — la joie que donne la communion du Sauveur. Ces deux joies se combattent et ne peuvent subsister ensemble, et ce n’est que dans la mesure où nous renonçons à la première que nous jouissons de la seconde. La joie divine fut un des traits caractéristiques de cet homme austère, tout le long de sa carrière. Enfant miraculeux dans le sein de sa mère, son premier mouvement est un tressaillement de joie, quand parvient aux oreilles d’Élisabeth la salutation de la mère de son Seigneur (Luc 1:44) ; et, quand il termine sa course, il dit encore : « Cette joie qui est la mienne est accomplie » (Jean 3:29).
N’oublions pas que tout chrétien est appelé à être nazaréen, et qu’il ne s’agit plus, sous ce rapport, d’une classe spéciale de personnes parmi le peuple de Dieu. Il n’est aussi plus question pour nous, comme pour le Juif nazaréen, d’une séparation extérieure ou de formes ; le nazaréat actuel, la séparation pour Dieu, est intérieure. Sans que le monde les comprenne, il en voit les effets, en vie, en joie, en puissance, mais la séparation elle-même est un secret entre l’âme et Dieu. Proclamer que je suis séparé, c’est occuper les autres de moi-même ; dire que je suis dépendant de Dieu, c’est ne l’être déjà plus, puisque je rapporte quelque chose à moi ; je livre ainsi mon secret au monde et je prête, comme Samson, ma longue chevelure à ses ciseaux. Dès que Satan, dès que le monde, auront appris le secret de ma force, ils n’auront pas de repos qu’ils ne me l’aient dérobé.
Mais s’il est des chrétiens assez satisfaits d’eux-mêmes pour divulguer la source de leur nazaréat, on en voit d’autres qui ne cessent de parler de leurs souillures ; deux extrêmes, sans doute, mais deux formes du même orgueil. L’un ne voit pas les taches de son habit et l’autre les étale, mais tous deux négligent les seules choses nécessaires, l’humiliation et la purification.
Si, en quelque point, nous avons manqué au voeu de notre nazaréat, si nous nous sommes souillés avec un mort, la restauration est possible (Nomb. 6:9-12) ; rentrons en nous-mêmes. Avec l’humiliation nous trouverons la purification. Mais, hélas ! chose bien sérieuse, avec le péché, une joie comme celle dont jouissait le Baptiseur, une puissance comme celle de l’homme de Tsorha, sont perdues. Tout est à recommencer ; il faut bien du temps pour que Samson retrouve, avec sa chevelure, la force de briser les colonnes du temple de Dagon.
À cette parole : « Il ne
boira ni vin ni cervoise », Gabriel ajoute : « Il sera rempli de l’Esprit
Saint déjà dès le ventre de sa mère ». Ici, la puissance spéciale du Saint
Esprit est comme liée au nazaréat. Beaucoup de chrétiens s’imaginent qu’être
rempli du Saint Esprit est une grâce spéciale qui ne pouvait
appartenir
qu’à des personnes privilégiées parmi le peuple de Dieu. Il n’en est rien.
Cette condition est de fait l’état normal du chrétien ; il est qualifié
pour être rempli du Saint Esprit, c’est-à-dire pour que l’Esprit comprime et
annule toute manifestation de cette chair que l’enfant de Dieu porte en lui.
Tout croyant est un temple du Saint Esprit, mais tout croyant n’en est pas rempli.
Pourquoi ? Est-ce de la part du Saint Esprit manque de puissance pour le
faire ? Non certes, car il ne serait pas le Saint Esprit de Dieu. Est-ce
peut-être que nous ne pouvons faire autrement que de le contrister ? Dans
ce cas, nous ne sommes pas des croyants affranchis. Mais que manque-t-il donc,
même aux chrétiens affranchis, pour être remplis de l’Esprit ? La réalité
du nazaréat ; comme il est dit en Éph. 5:18 : « Ne vous enivrez pas de vin,
en quoi il y a de la
dissolution, mais soyez remplis de l’Esprit
».
Oh ! bien-aimés enfants
de Dieu, mes frères, quelle puissance de jouissance,
de témoignage,
de conformité à Christ
n’aurions-nous pas,
si, véritables nazaréens, nous étions remplis de l’Esprit ! Avons-nous
jamais goûté, ne fût-ce que pour un moment, une telle bénédiction ?
Étienne la goûta pleinement, pendant sa courte carrière de témoin :
« Étienne, homme plein de foi et de l’Esprit
Saint
», est-il dit, dès la
première mention qui est faite de lui ; Étienne, « plein de grâce et de
puissance », ajoute la Parole, quand ce nazaréen, plein de l’Esprit Saint,
exerçait son activité parmi le peuple ; Étienne, « étant plein de l’Esprit
Saint », dit-elle encore, quand le sanhédrin grinçait les dents contre lui
(Actes 6:5, 8 ; 7:55). Et là, devant ceux qui le lapidaient, la puissance
non contristée de l’Esprit, attachant les yeux d’Étienne sur le ciel, il y voit
la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. Ses yeux et son coeur,
que l’Esprit remplit de la vision céleste, s’arrêtent sur un objet
, sur Jésus dans la gloire. Cet homme sur la terre voit le Fils
de l’homme dans le ciel et se réjouit en Celui qui, ayant terminé son oeuvre,
lui a, dans sa propre personne, préparé la place glorieuse. Notre incapacité de
« voir Jésus », notre manque de connaissance personnelle de ce précieux Sauveur,
se lie, pensons-y bien, à la manière dont nous réalisons cette recommandation
de l’apôtre : « Soyez remplis de l’Esprit ».
Mais Étienne n’a pas
seulement la jouissance
de
Christ ; il rend témoignage
et
dit : « Voici, je vois les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la
droite de Dieu ». Ce dont il est rempli par l’Esprit, découle abondamment sur
ses lèvres.
Il ne se dit pas qu’il lui
faut rendre témoignage ; le fleuve abondant s’épanche au-dehors et coule
sur la terre, alimenté par la source céleste, devenue dans le coeur de cet
homme une fontaine d’eau jaillissante. Et ce bienheureux martyr fait plus
encore que de rendre témoignage : il est transformé
lui-même en contemplant, à face découverte, la gloire du
Seigneur ; il reflète ici-bas, sans les obscurcir, le caractère, les voies
et les paroles du Sauveur bien-aimé. Tout cela, je le dis encore, n’est pas un
don spécial, mais le fruit sans entraves de l’Esprit Saint, agissant dans nos
coeurs. Exhortons-nous donc par cette parole : « Soyez remplis de
l’Esprit ».
Hélas ! nous manquons tous en plusieurs manières ; Jésus seul, le vrai Nazaréen, n’a jamais manqué. Jésus, conçu de l’Esprit Saint, baptisé de l’Esprit, plein de l’Esprit (Luc 1:35 ; 3:22), a réalisé toutes ces choses dans une perfection absolue, sans une ombre de défaillance. Homme de douleurs ici-bas, il connaissait une joie parfaite ; humble entre les humbles, il réalisait une force divine qui le rendait victorieux dans le combat contre Satan, quand l’Esprit le menait dans le désert, qui le rendait puissant dans son ministère, quand l’Esprit le conduisait en Galilée (Luc 4:1-14) ; Lui pur et saint pouvait dire : « Satan n’a rien en moi ». Qu’il soit le modèle de notre nazaréat, Lui, « le Nazaréen entre ses frères ». Alors nous le suivrons, dans la puissance de l’Esprit Saint, à la distance de deux mille coudées, sans doute, comme Israël suivit l’arche, mais nous le suivrons néanmoins, et le suivre c’est Lui ressembler !
Les deux passages mis en tête
de ce chapitre nous présentent la vie de Jean Baptiste depuis sa naissance
« jusqu’au jour de sa manifestation à Israël ». « L’enfant », est-il dit,
« croissait et se fortifiait en esprit ». Être nazaréen, telle est, comme nous
l’avons vu, la première condition du développement normal de l’homme de foi.
L’Esprit peut alors exercer son action pour nous faire croître et nous
fortifier puissamment dans l’homme intérieur. Rien ne le contristera, et il
n’aura pas à s’employer pour nous reprendre et nous corriger ; nous serons
comme un arbre, planté dans un bon terrain, arrosé de ruisseaux d’eau vive, et
recevant en plein les rayons fortifiants du soleil. L’arbre se développe sous
cette action bienfaisante. Ses boutons deviennent des fleurs, et ses fleurs des
fruits, selon les saisons. Tels étaient les caractères du prophète encore
enfant, et cependant il n’était que la faible image de Celui dont bientôt il
allait annoncer la venue. Il est dit de Jésus, le Seigneur de Jean Baptiste
,
qu’étant enfant « il croissait et se fortifiait, étant rempli de
sagesse ; et la faveur de Dieu était sur lui ». Et encore : « Jésus
avançait en sagesse et en stature, et en faveur auprès de Dieu et des hommes »
(Luc 2:40, 52). Il n’aurait pas été vraiment homme, s’il n’avait passé depuis
sa naissance à travers les phases du développement de l’homme ; il
n’aurait pas été Dieu, s’il n’y avait passé dans une perfection absolue. Jean
avait besoin d’aide
pour croître et
se fortifier en esprit, aussi l’évangéliste dit-il : « La main du Seigneur
était avec lui » (Luc 1:66). Jésus croissait et se fortifiait de lui-même,
pour ainsi dire, quoique
dans une dépendance absolue comme homme. On trouve en Luc la perfection de cet
épanouissement. La fleur est en bouton, pas une tare ; elle est pleinement
ouverte, pas une flétrissure ; la faveur divine, la rosée des cieux,
remplit son calice ; elle est d’un parfum, d’une grâce, capables de faire
les délices de Dieu et des hommes. Elle promet le fruit qui paraît en son
temps, développement divin d’une pleine maturité.
Nous avons vu l’état moral du
fils de Zacharie. Considérons un peu sa condition extérieure, telle que, dès sa
jeunesse, elle dut frapper les regards des hommes. La Parole nous dit :
« Il fut dans les déserts ». Quel contraste avec le monde qui l’entourait !
La « Bête » romaine était en pleine prospérité, stable comme aucun empire ne
l’avait jamais été (Luc 3:1). L’administration, l’armée, les arts, les
religions, même la religion judaïque (3:2), étaient organisées d’une manière
remarquable. Certes, cela ne ressemblait pas au désert et il faisait bon vivre
sous ce régime. Entre le désert et la Judée d’Hérode, un Lot n’aurait pas
hésité. Jean Baptiste n’y trouve rien qui l’attire ; il fut dans les
déserts, entièrement, visiblement séparé du monde. Aussi, quand Dieu l’envoie
et qu’il franchit le seuil du désert pour prophétiser au milieu du monde et de
son activité bruyante, son coeur n’y rencontre que le vide et le silence :
« Voix de celui qui crie dans le désert »,
dit-il,
car le monde est un désert pour lui. Il ne lui demande rien, il ne va pas y
chercher des « vêtements précieux », il y apporte les habitudes du pays de son
choix. Son vêtement est de poil de chameau, le seul habit grossier que le
désert pût lui offrir ; il a une ceinture de cuir autour des reins, comme
en d’autres temps le prophète Élie quand il se présenta aux envoyés d’Achazia
(2 Rois 1:8) ; sa nourriture est des sauterelles et du miel sauvage qu’il
récolte dans les lieux désolés. Comme Élie au torrent de Kérith, il dépend
entièrement pour sa subsistance de ce que Dieu lui a préparé dans une terre
aride ; dépendance pénible à la chair, mais mille fois bénie, car elle est
la puissance de tout vrai ministère. C’est la vie et l’expérience du désert qui
qualifient le Baptiseur pour être la « voix » de Celui qui s’y fait entendre et,
comme Élie, pour accomplir sans crainte sa dangereuse mission.
Mais un autre a distancé Jean Baptiste dans cette expérience, Celui dont il est dit au Psaume 110 : « Il boira du torrent dans le chemin », courte phrase qui résume toute la carrière terrestre du Sauveur. David, dans ce Psaume, le voit d’avance à la droite de Dieu, mais d’avance aussi il contemple le chemin qui le conduira là. Que de choses nous disent ces mots : Il boira du torrent dans le chemin ! Ce petit tableau nous présente un homme en marche, ayant hâte d’accomplir sa mission. Immédiatement nos pensées se reportent à l’histoire des compagnons de Gédéon, suscités par l’Éternel pour la délivrance du peuple, et qui burent du torrent dans le chemin (Juges 7). Ils étaient trois cents, choisis pour une délivrance temporelle. Jésus fut seul et prit la responsabilité d’un salut éternel. Rien ne l’arrête, même pour un instant. De provisions il n’en a pas, non plus que d’eau pour étancher sa soif, et il ne s’écarte pas du chemin pour en chercher. Les ressources que Dieu met sur sa route lui suffisent, car il n’a qu’un but : accomplir sa mission, et son coeur y est entièrement dévoué. Ce n’est pas lui qui ira s’établir à genoux au bord du torrent et se mettre à l’aise pour y boire.
Avez-vous jamais cherché dans les évangiles combien de fois le Sauveur a bu du torrent dans le chemin ? On les a bien vite comptées, ces sources de rafraîchissement qu’il rencontre après les longues étapes parcourues sous le soleil brûlant, sources produites par quelque pluie bienfaisante que le ciel a versée un moment sur sa route, et auxquelles il a puisé sans ralentir sa marche. Quand, au puits de Sichar, une misérable femme de Samarie vit sa conscience atteinte par Celui qui lui demandait à boire, sans qu’elle sût même lui donner une goutte d’eau, le torrent coulait dans le chemin du Sauveur. Et avec quelle joie il s’y désaltère en passant : « J’ai de la viande à manger que vous ne connaissez pas ». « Celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble » (Jean 4:32, 36). Quand, à la table du pharisien, une pauvre pécheresse, déjà convaincue de péché, venait apporter aux pieds de la Grâce qui seule pouvait pardonner, ses larmes, ses baisers et son parfum, ce n’était pas au repas de Simon que le Sauveur prenait part, c’était à la table que Dieu lui dressait dans le coeur de cette femme. Quand Marthe, se mettant en souci et se tourmentant, préparait tout à grand-peine, pour recevoir Jésus dans la maison, lui buvait du torrent dans le chemin, en reposant ses yeux sur Marie qui, assise à ses pieds dans le silence, l’écoutait et trouvait en lui la bonne part. Et à la dernière borne de sa dernière étape, où sous le feu consumant il allait s’écrier : « J’ai soif », il trouve pour la seconde fois, non pas à la table de Béthanie, mais chez Marie, le torrent préparé pour lui, alors que, devançant le moment de sa sépulture, elle vint répandre tout son parfum sur les pieds et sur la tête du Sauveur qui allait mourir.
Ah ! ces occasions
furent rares, mais elles suffisaient à ce coeur parfait, entièrement soumis au
Père et dépendant de Lui. Précieux Sauveur ! tu as bu du torrent dans le
chemin, mais tu lèveras haut la tête. Maintenant déjà, te voilà au poste le plus
élevé, assis sur le trône du Père, à sa droite. Tu as la satisfaction d’avoir
accompli ton oeuvre à la gloire de ton Père, et ta séance là-haut en est
l’irrécusable témoin. En vertu de cette oeuvre, tu as été acclamé de Dieu
souverain sacrificateur éternellement pour nous selon l’ordre de Melchisédec.
Mais il te reste encore à occuper ton
trône,
à y monter en foulant tes ennemis comme le marchepied de tes pieds. Alors, tu
nous y auras avec toi. Tu verras le fruit du travail de ton âme, et tu en seras
rassasié !
Le chapitre 3 de l’évangile
de Matthieu introduit Jean Baptiste dans son ministère public. Ce ministère me
paraît être caractérisé par deux mots du Sauveur, quand il prend la défense de
Jean devant les foules : « Un prophète
? Oui, vous dis-je, et plus qu’un
prophète
» (Matt. 11:9).
Jean Baptiste était un prophète, mais, même comme tel, sa position et son ministère s’élevaient au-dessus de ceux des prophètes anciens. Ces derniers parlaient, soit à Jérusalem, soit en Israël, soit au milieu du peuple captif ou remonté de la captivité. Jean-Baptiste se sépare du peuple ; il vit dans le désert. Le seul prophète auquel il doive être assimilé sous d’autres rapports est Élie, mais ce dernier fut conduit au désert par sa défaillance, et non par l’Éternel (1 Rois 19).
Un résidu de Juda était remonté de la captivité babylonienne, mais il n’en était pas même un aux yeux du prophète. Il n’y avait désormais qu’un résidu de ce résidu qui pût être reconnu comme Israël.
C’est pourquoi Jean Baptiste
ne fait plus appel à la masse du peuple, comme les prophètes qui l’avaient
précédé. Il dit : « Voix de celui qui crie dans le désert
». Israël lui-même
était un désert pour Dieu. L’appel prophétique est basé désormais sur la ruine
irrémédiable du peuple, tandis que celui des prophètes anciens supposait
toujours la possibilité d’un retour national à l’Éternel. Alors, le jugement
divin n’était pas définitivement prononcé sur la race humaine. Les prophètes
étaient autorisés, par leur mission, à chercher s’il n’y avait pas en l’homme
quelque bien par lequel il pût être ramené à Dieu. Comme eux, sans doute, Jean
Baptiste a prêché la repentance, mais une repentance
basée sur une ruine sans remède.
C’est pourquoi Ésaïe, décrivant le
ministère de Jean Baptiste, ajoute : « Une voix dit : Crie. Et il
dit : Que crierai-je ? — Toute chair est de l’herbe, et toute sa
beauté comme la fleur des champs. L’herbe est desséchée, la fleur est
fanée ; car le souffle de l’Éternel a soufflé dessus. Certes, le peuple
est de l’herbe ». Que reste-t-il de l’homme ? Rien ; le souffle de
l’Éternel a soufflé dessus. — Désormais la repentance reconnaissait cela ;
on avait à se juger dans la présence de Dieu, et l’on sortait vers le prophète,
confessant ses péchés, mais pour être baptisé par lui dans le Jourdain. Le
pécheur ne se bornait pas à confesser ses fautes, mais reconnaissait que
désormais la seule réponse à son état était la
mort
, qu’il n’y avait pas
de remède. Or la période dans laquelle le monde entrait, rendait un tel
ministère nécessaire. Le Seigneur paraissait sur la scène. L’histoire du
premier homme était virtuellement close (elle fut terminée de fait à la croix),
pour faire place à l’histoire du second homme, auquel il s’agissait
d’appartenir désormais. Le moyen d’appartenir à ce Messie vivant sur la terre (*) était de passer condamnation sur soi-même et de
se jeter dans les bras de la grâce.
Aussi
Zacharie, père de Jean Baptiste, prophétise-t-il du petit enfant : « Tu
iras devant la face du Seigneur… pour donner la connaissance du salut à son
peuple, dans la rémission de leurs péchés, par les entrailles de miséricorde de
notre Dieu, selon lesquelles l’Orient d’en haut nous a visités, afin de luire à
ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort » (Luc
1:76-79). Aussi quelles classes de gens voit-on se rendre au baptême du
prophète ? Des publicains, hommes d’un caractère ouvertement méprisable,
des gens de guerre habitués à écraser le peuple. La corruption et la violence,
mais reconnues et jugées, se donnent rendez-vous au baptême de la repentance.
« Jean », dit le Seigneur, « est venu à vous dans la voie de la justice, et vous
ne l’avez pas cru ; mais les publicains et les prostituées l’ont cru »
(Matt. 21:32). Pour de telles gens, il n’est plus de ressource, et Dieu ne peut
reconnaître en eux que le fruit de son oeuvre. « De ces pierres, Dieu suscitait
des enfants à Abraham » (3:9).
(*) Jean baptisait pour un Christ vivant, le baptême chrétien est pour la mort de Christ.
Il est un autre côté du
ministère prophétique qui ne peut manquer à Jean Baptiste, et qu’il présente
d’une manière plus complète et définitive que ses prédécesseurs : c’est le
jugement,
en contraste avec la grâce.
Les pharisiens et les sadducéens se rendaient avec la foule à son
baptême ; ils n’y venaient pas en coupables, mais en propres justes ;
la vue de l’oeuvre de Dieu dans les publicains et les prostituées ne produisait
chez ces gens ni remords, ni foi (21:32) ; aussi leur sentence est
définitivement prononcée. Une « race de vipères » ne peut être destinée qu’à « la
colère à venir » ; on ne peut lui apprendre à la fuir. S’ils acceptaient ce
jugement, ils porteraient le fruit qui convient à la repentance. La descendance
d’Abraham selon la chair était mise de côté ; Dieu susciterait des enfants
à Abraham, en donnant la vie à ce qui était mort et dur comme la pierre (vers.
9).
Le Baptiseur ajoute :
« Et déjà la cognée est mise à la racine des arbres ». Comme, dans une forêt, on
marque de la hache les arbres qu’il faut abattre, déjà les objets du jugement
étaient désignés ; mais il ne s’agissait plus de retrancher les branches
ou même le tronc ; la racine
était
mauvaise. Il ne restera rien de vous, dit le prophète, en présence du jugement
qui est à la porte. Et ce jugement qui l’exécutera ? Le Christ. « Lui »,
dit-il, « vous baptisera de l’Esprit Saint et de feu » (vers. 11). Il possède les
deux moyens d’anéantir le péché : l’Esprit, don de la grâce, comme
conséquence de l’oeuvre du Sauveur, le feu, jugement qui consume. Moi, semble dire
le prophète, je ne puis faire une oeuvre en votre faveur, je baptise d’eau,
mais Lui apporte pour vous une pleine délivrance, pour le monde un jugement
définitif. Puis, décrivant ce que le Seigneur va faire en Israël, il contemple
dans l’avenir le résultat final de son action : « Il a son van dans sa
main », un jugement qui sépare la balle mais conserve le grain pour le récolter
dans le grenier. C’est ce qui aura lieu pour Israël. Alors l’aire de l’Éternel
sera entièrement nettoyée, il n’y restera plus aucune souillure, mais le feu
inextinguible détruira toute la paille. Tel est donc ce côté du ministère de
Jean Baptiste : la plénitude du jugement et la grandeur de la délivrance,
apportées toutes deux dans la personne du Messie.
Cela nous conduit à la seconde
parole du Seigneur : « Oui, vous dis-je, et plus qu’un prophète
». Jean
Baptiste est le seul prophète annoncé par les prophètes eux-mêmes (És.
40 ; Mal. 3:4), mais ce n’est pas en cela proprement que consiste la
grandeur spéciale qui le met au-dessus des prophètes. Il annonce au milieu
d’Israël, non plus des gloires futures introduites par la venue du Messie, mais
il est le messager du Seigneur lui-même, envoyé pour préparer son chemin devant
Lui (Mal. 3:1 ; Luc 1:76). Le Messie qu’il annonce est un Messie qui
vient, déjà présent
au milieu de son
peuple. Message unique ! Le royaume des cieux était là, non pas proche,
mais s’étant
approché dans la
personne de Christ (3:2). Le Seigneur allait, s’il était reçu, prendre
immédiatement en main les rênes du gouvernement de la terre. Jean ne faillit
pas à sa mission. Il prépare
le
chemin devant le Seigneur (Mal. 3:1). Il fait appel à la foi, et il y a une
réponse dans le coeur d’un pauvre résidu d’Israël ; il crie : « Préparez
le chemin ». Ce chemin dans lequel le Seigneur pouvait entrer, c’étaient des
coeurs convaincus de péché, confessant leurs fautes, repentants, trouvant la
fin de la chair dans la mort, n’ayant que la grâce pour ressource. À peine Jean
a-t-il dit ces mots : « Celui qui vient après moi », que Jésus vient
lui-même (Matt. 3:13). Jean ouvre la porte, et déjà paraît sur le seuil le
Messie d’Israël, dans la personne de cet homme pauvre et humilié, Jésus.
En ce moment-là, combien Jean
Baptiste, le grand prophète, est admirable : il s’abaisse au-dessous des
courroies des sandales de Christ (Matt. 3:11 ; Jean 1:27). Il déclare
avoir besoin d’être baptisé par Lui (Matt. 3:14). En s’abaissant, il exalte
d’une part la dignité personnelle de son Seigneur, et reconnaît, de l’autre, en
présence d’une telle perfection, sa propre condition de pécheur. Mais mille
fois plus admirable encore est le Sauveur lui-même. Il s’abaisse, Lui, le
Très-Haut, au-dessous de Jean, qui s’abaissait aux sandales de ses pieds.
Laisse faire, dit-il, et prenant part en grâce au baptême de Jean avec ceux qui
se repentent, il trouve ses délices dans ces coeurs brisés et froissés et veut
s’associer avec ces « excellents de la terre ». Puis, non content de s’abaisser,
il ajoute : « Il nous
est convenable d’accomplir toute
justice », élevant Jean Baptiste jusqu’à Lui, faisant de lui son compagnon dans
l’accomplissement de la volonté de Dieu. Le ciel s’ouvre sur une telle
perfection et la considère, et nos coeurs peuvent s’ouvrir aussi pour la
contempler.
Nous venons de considérer la
grandeur de Jean Baptiste comme prophète, selon la parole du Seigneur, en
Matthieu 11:9. Une seconde parole de ce même chapitre nous présenterait plutôt
sa grandeur comme homme.
« En vérité »,
dit le Seigneur, « parmi ceux qui sont nés
de femme
, il n’en a été
suscité aucun de plus grand que Jean le Baptiseur (*) »
(vers. 11).
(*) Nous n’oublions pas que
Luc 7:26 applique ce même passage au prophète
Jean Baptiste.
Dans le premier chapitre de
l’évangile de Jean, il est grand de trois manières : personnellement,
en
témoignage et moralement.
Considérons d’abord sa
personne
. Dès le début de l’évangile, après nous avoir présenté, pour
emprunter les paroles d’un autre, « ce que le Seigneur est divinement, en
lui-même » (vers. 1-5), le Saint Esprit introduit solennellement sur la scène un
homme, distingué par sa mission de tous les autres hommes : « Il y eut un
homme envoyé de Dieu ; son nom était Jean » (vers. 6). Ensuite (vers. 8),
il le caractérise par un signe négatif : « Lui n’était pas la lumière
».
Quelle valeur personnelle avait donc cet homme, pour que le Saint Esprit jugeât
bon de déclarer qu’il n’était pas ce que Dieu lui-même est dans son
essence ! Ce qu’il était positivement, le Seigneur le déclare au chap.
5 : « Celui-là était la lampe ardente et brillante
; et vous
vous avez voulu vous réjouir, pour un temps, à sa lumière » (chap. 5:35) ;
comme lampe, sa clarté était si grande qu’elle apportait presque la joie de
l’astre du jour, quand elle paraissait.
Lorsque les Juifs envoient, de Jérusalem, des sacrificateurs et des lévites pour lui demander ce qu’il est, Jean répond : « Moi, je ne suis pas le Christ… » ni le prophète (annoncé en Deut. 18:15-18). Il avait une telle valeur aux yeux des hommes, qu’il déclarait n’être pas le personnage le plus élevé en Israël ! Sauf le Christ, jamais il n’y eut, dans le monde, un homme plus grand que lui.
Examinons maintenant son témoignage
.
Il était presque illimité, en rapport avec le caractère divin de Christ dans
cet évangile ; il était multiple, bien qu’il se rapportât à un seul et
unique objet.
Premièrement
, « il vint pour rendre témoignage de la lumière »,
mission sans précédent dans l’histoire de l’homme ! Moralement, le monde
était une contrée désolée, ensevelie dans une nuit perpétuelle ; Jean
Baptiste paraît, annonçant l’apparition d’un astre qui va dissiper les ténèbres
et apporter aux misérables la santé, la joie et la vie. Tel est le premier
témoignage de cet homme. Hélas ! son résultat aurait dû être en raison de
son importance, car Jean vint « afin que tous crussent par lui » (vers. 7), mais
l’astre annoncé ne fut pas compris des ténèbres, ni connu du monde, ni reçu des
siens (Israël). Ces derniers ont bien voulu se réjouir, pour un temps, à la
lumière de la lampe, mais ils n’ont pas voulu
venir au soleil pour avoir
la vie (Jean 5:35, 40).
En second lieu
, Jean
Baptiste rend témoignage à la Parole devenue chair (vers. 15), à Dieu fait
homme, descendu ici-bas pour remédier à notre état et pour révéler le Père.
Quel témoignage que celui-là, en contraste avec ce que Dieu avait révélé dans
les siècles passés. La loi était venue par Moïse, mais ce qui répondait en
grâce à l’état de l’homme, tout en le dévoilant, était resté inconnu
jusqu’alors. Israël avait pu connaître Dieu comme l’Éternel ; le Fils
unique qui est dans le sein du Père, nous a mis en rapport avec le Père. Or, le
témoignage de Jean comporte cette révélation.
Au verset 19, on trouve un troisième
témoignage, témoignage négatif, direz-vous, car Jean nous dit ici ce qu’il n’est
pas. C’est à cela que le Seigneur semble faire allusion au chap. 5:33, quand il
dit : « Vous avez envoyé auprès de Jean (conf. 1:19), et il a rendu
témoignage à la vérité
». Or, ce témoignage met Jean Baptiste entièrement de
côté. La vérité, c’est que lui n’était rien
et que le Christ, ce
prophète qu’il n’avait pas encore vu, était tout. Je trouve ce témoignage d’une
grande beauté : Jean Baptiste s’anéantit pour le triomphe de la vérité.
Plus tard, ce Christ annoncé par Jean, après s’être anéanti lui-même, paraît
devant Pilate, rend témoignage à la vérité qu’il est roi, et ne tient pas
compte de sa vie afin de la maintenir. Jean Baptiste avait dit : « Je ne le
suis pas ». Jésus dit : « Je le suis ». En cette occasion, le Seigneur aurait
pu garder le silence, mais, quand il s’agit de la vérité, il parle, il répond,
et sa parole est comme la signature de sa condamnation.
Voici maintenant un quatrième
témoignage (v. 29), particulièrement important dans la carrière de cet homme de
Dieu. Jusqu’ici, Jean ne connaissait pas le Seigneur personnellement. « Il voit
Jésus venant à lui », et pousse un cri de joie. Il ne dit pas : Voilà la
lumière, ou la Parole faite chair, ou le Christ, mais : « Voilà l’Agneau de
Dieu qui ôte le péché du monde ! » La valeur de l’oeuvre de Christ s’ouvre
à lui en même temps que celle de sa personne. Il découvre en Jésus la victime
parfaite et le Sauveur, « l’Agneau de Dieu
», et voit son oeuvre ; il
la voit jusqu’à la limite des temps éternels ; il la contemple, dans ses
résultats, jusqu’à l’établissement des nouveaux cieux et de la nouvelle terre,
où la justice habite, où le péché sera ôté de la scène pour toujours. Il la
contemple encore dans ses résultats, quand, rendant témoignage, il dit :
« J’ai vu l’Esprit descendant du ciel comme une colombe, et il demeura sur
lui… c’est celui-là qui baptise de l’Esprit Saint » (vers. 32, 33). Le
croyant, par ce baptême, est désormais assuré de l’efficacité de cette oeuvre
en sa faveur ; il est rempli de l’espérance d’être bientôt avec Christ et
semblable à Lui dans le ciel.
Cher lecteur, ce qui arrive
ici à Jean devrait nous arriver à tous. Nous n’apprécions bien la valeur de
l’oeuvre de Christ, que lorsque nous le connaissons en personne. Si Jean
Baptiste a une intelligence étendue de ces choses, c’est que Jésus occupe toute
la place dans ses pensées. La connaissance personnelle de Christ élargit, dans
nos coeurs, la connaissance de toutes choses, en même temps qu’elle nous réduit
à rien dans notre propre estime et dans l’estime du monde, ou plutôt dans la manière
dont nous cherchons à être estimés par lui. L’apôtre Paul, en voyant les
richesses insondables de Christ, dit : « Moi, qui suis moins que le moindre
de tous les saints ». Mais cette personne n’est connue que par la foi
.
Voyez ce que les hommes découvrent quand leur intelligence s’applique à
connaître Dieu. Ils estiment Jean Baptiste le Christ, ils disent de Christ
qu’il est Jean le Baptiseur ! (Matt. 16:14).
Ce témoignage, remarquez-le
bien, n’est pas proprement prophétique ; Jean, enseigné d’avance, a
compris ces choses comme nous pouvons les comprendre, en faisant la
connaissance de l’Agneau de Dieu. Aussi trouvons-nous, au vers. 34, un cinquième
témoignage : « Et moi, j’ai vu et j’ai rendu témoignage que celui-ci est le
Fils de Dieu ». Il peut dire : Maintenant j’ai vu
et rendu
témoignage de ce que j’ai vu. Cet homme, auquel Dieu lui-même rend témoignage
par la descente du Saint Esprit, est le Fils de Dieu
!
Un témoin tel que Jean
Baptiste aurait pu, n’est-il pas vrai, avoir une haute opinion de lui-même.
Mais ce qui le rend moralement
grand, c’est (nous avons déjà touché ce
point) qu’il est moins que rien à ses propres yeux, non parce qu’il cherche à
s’anéantir lui-même, mais parce que pour lui Christ remplit la terre, le ciel,
l’éternité, et son propre coeur, et qu’il est pour lui tout ce qu’expriment ces
noms si précieux : Seigneur, Christ, Prophète, Agneau de Dieu, Objet du
ciel, Fils de Dieu, Époux. Son coeur tout entier est saisi par cet homme qui
vient après lui, mais qui est avant lui. Aussi, quand les émissaires des Juifs
lui demandent : « Que dis-tu de toi-même ? » il leur répond :
« Moi, je suis la voix de celui qui crie dans le désert ». Je ne dis rien de
moi-même ; je suis une voix. II aurait pu dire : Je suis le porte-voix
de Dieu ; mais non ; un instrument pourrait encore se considérer
comme quelque chose ; « je suis la voix de celui qui crie » — cela lui ôte,
pour ainsi dire, sa personnalité — « qui crie dans le désert » : une voix qui
reste sans écho, sans valeur aux oreilles des hommes ! Pourquoi donc
baptises-tu ? lui demandent-ils. Il répond : Moi, je baptise d’eau.
Qu’est-ce que mon baptême à côté du sien !
Puis, le lendemain, en
compagnie de ses disciples, il se tient là et regarde ; il regarde
marcher
le Fils de Dieu. Son coeur vole vers Lui : « Voilà l’Agneau de
Dieu », dit-il. Un maître éminent aime à rassembler des disciples qui écoutent
ses enseignements. Ce maître est-il envoyé de Dieu ? sa satisfaction sera
doublée par la pensée qu’il leur communique un enseignement divin. Eh bien !
Jean pousse ses disciples vers Jésus et reste seul — non pas seul dans le
désert, il y était habitué ; mais seul au milieu de ce qui allait devenir
la famille de Dieu !
Au chapitre 3:26, ses
disciples n’ont pas la même abnégation. Ils viennent à lui et lui disent :
« Rabbi, celui
qui était avec toi au-delà du Jourdain, à qui tu as
toi-même rendu témoignage, voilà, il baptise et tous viennent à lui ». Ils font
de Jean l’homme important, et de Christ le personnage secondaire. Voilà,
disent-ils à Jean, comme il te traite ! Jean rappelle à ses disciples son
propre témoignage à l’égard du Christ. Puis, il ajoute : « Celui qui a
l’épouse est l’époux » (vers. 29). L’épouse, ce n’est pas Jean Baptiste, il le
sait, mais le grand prophète se contente d’une place secondaire, car il a
Christ. Il est « l’ami de l’Époux ». Il assiste à des épanchements qui ne
s’adressent pas à lui, mais que lui importe, il entend la voix de l’Époux et sa
joie est accomplie. D’autres auront leur joie dans des relations plus intimes,
mais la joie de Jean Baptiste est parfaite dans une relation inférieure ;
le Seigneur la lui a donnée, ce n’est pas la plus haute, mais elle est de Lui,
et cela suffit à cet homme de Dieu ; sa joie est accomplie en Celui qui
est l’Époux d’une autre. Touchante humilité chez le plus grand de ceux qui sont
nés de femme ! N’est-il pas vrai que la joie de Jean Baptiste qui se
tenait à l’écart était beaucoup plus grande que n’est habituellement la nôtre,
à nous chrétiens qui avons le privilège de nous appeler l’épouse de Christ, et ne
sommes-nous pas humiliés à cette pensée ? Jean appréciait
notre
relation, gardait
la sienne, n’en désirait pas d’autre. Il n’y avait pas
en lui plus de jalousie que chez les anges, quand, à la naissance de Christ,
ils célébraient le bon plaisir dans les hommes et exaltaient une oeuvre qui ne
leur était pas destinée, mais s’adressait à des pécheurs souillés et perdus.
Jean « assistait », les yeux fixés sur la face de l’Époux, l’oreille tendue pour
l’écouter. Il trouvait tout son bonheur dans l’oubli de lui-même, comme Marie
aux pieds du Sauveur, et laissait, comme un vase, son coeur se remplir du flot
des perfections d’un Époux qui n’était pas le sien. « Il faut que Lui croisse »,
ajoute-t-il, « et que moi je diminue ». Christ a crû, Jean a diminué jusqu’à s’anéantir.
Ce grand témoin, après avoir rendu témoignage, a réuni ses disciples autour de
Jésus, et a vu son témoignage entièrement remplacé par celui de Christ. Sa
gloire est d’avoir fait ressortir la gloire de Celui qui seul a mérité la
gloire. Qu’il en soit ainsi de nous. Nous ne sommes pas appelés à revêtir la
grandeur prophétique et personnelle de Jean Baptiste, mais qu’il nous soit
donné, dans l’oubli de nous-mêmes, de revêtir quelque chose de sa grandeur
morale, Christ étant le tout de nos âmes.
Jusqu’ici nous avons
considéré Jean Baptiste dans les différentes phases de son développement comme
homme de foi. Nous arrivons au seul point de son histoire où se montre, chez
lui, la faiblesse et la défaillance. Comme Élie, Jean, le grand prophète, eut
son heure de découragement. Il était en prison, sans que son Maître eût rien
fait pour le délivrer ; ses espérances déçues, le fruit de sa mission nul
en apparence. Le peuple, scandalisé en Christ, ne s’était pas rassemblé sous
ses ailes ; le Messie méconnu n’avait pas une place où reposer sa tête. Ce
Seigneur glorieux, annoncé comme venant « soudainement à son temple » sur les pas
de son messager (Mal. 3:1), ayant son van dans sa main pour nettoyer son aire,
était rejeté de tous comme un objet vil et méprisable. Hélas ! en de
telles circonstances, le découragement était naturel
chez le prophète, mais ce n’était pas la foi
, car le
découragement conduit Jean Baptiste à douter de Christ, à se demander s’il était
bien le Messie promis, « Celui qui vient », selon la parole de Malachie (3:1).
Jean Baptiste ne se demande pas, dans son incertitude, si lui-même était bien
le messager ; nos défaillances nous portent plus vite à douter de Dieu que
de nous-mêmes. Toutefois, cette scène offre quelque chose de consolant ;
s’il est porté à mettre en question le caractère messianique du Sauveur, Jean
ne doute pas de Lui sous d’autres rapports. La parole de Jésus est sa seule
ressource et lui suffit. « Es-tu Celui qui vient, ou devons-nous en attendre un
autre ? » C’est un déclin dans une carrière de foi ; mais grâce à
Dieu, c’est encore de la foi, et cette dernière, quelque petite qu’elle soit,
trouve, ce qu’elle trouvera toujours, une réponse parfaite. Cependant ici, Jean,
ce grand témoin, a failli dans son témoignage. Il en est toujours ainsi de
l’homme ; il manque en quelque chose, fût-il un Jean Baptiste, et ne peut
tenir devant Christ. Nous n’y perdons pas. Le Seigneur seul reste immuable. Il
était beau de voir, en Jean 1, l’homme de foi s’abaissant
devant le Seigneur ; le Seigneur lui-même est plus
admirable quand, l’homme ayant dû disparaître, Lui reste seul debout.
Considérons plus en détail le rôle du Sauveur dans cette scène. Tandis que Jean doute de Christ, le Seigneur répond à sa défaillance en plaçant sa grâce devant lui : « Allez, et rapportez à Jean les choses que vous entendez et que vous voyez » (ses paroles et ses oeuvres) : « Les aveugles recouvrent la vue et les boiteux marchent ; les lépreux sont rendus nets et les sourds entendent, et les morts sont ressuscités, et l’évangile est annoncé aux pauvres » (vers. 4, 5). Tous ces miracles, accomplis sous les yeux des envoyés de Jean étaient le signe de la présence du Messie en Israël (Ésaïe 61:1, 2), mais du Messie en grâce. La grâce était-elle donc une chose moindre que la gloire attendue par le Baptiseur ? À sa question, Jésus répond : La grâce demeure en puissance et « la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres ». II m’est précieux de penser que, dans le temps actuel, temps de misère où tous les miracles ont cessé, je puis reconnaître Jésus dans la prédication de l’évangile aux pauvres, et dire : Moi-même j’ai entendu le Seigneur ! Jésus ajoute : « Et bienheureux est quiconque n’a pas été scandalisé en moi » (vers. 6). En face de l’abandon du peuple, il y a un résidu bienheureux qui, convaincu de péché au lieu d’attendre la gloire du Messie, a trouvé la grâce dans un Sauveur rejeté, venu pour l’homme pécheur. Connaître la grâce en Jésus constitue le bonheur pour ces quelques-uns. Douce et délicate réprimande adressée à Jean Baptiste ! N’aurait-il pas dû se souvenir de cette grâce, lui qui avait salué Jésus du titre d’Agneau de Dieu ? N’es-tu donc plus de ces bienheureux-là ? semble lui dire la voix du Sauveur. Mais, pour la gloire de Christ, il faut que le grand prophète Jean Baptiste soit un objet de grâce comme les autres.
Tandis que le précurseur
emprisonné se décourage et abandonne, un moment, son témoignage, le Seigneur
lui-même rend témoignage à Jean devant les foules. Quelle grâce ! Quelle
divine délicatesse dans le choix d’un tel moment pour revendiquer le caractère
de Jean Baptiste, que ses doutes rabaissaient aux yeux de tous, dans son
caractère de prophète. « Qu’êtes-vous allés voir au désert ? Un roseau agité
par le vent ? » Un homme faible et incertain dans l’épreuve ?
Ah ! s’il se montre tel au moment où Jésus parle, il n’en avait pas été
ainsi au début de sa carrière, et c’était alors qu’ils avaient été appelés à le
connaître. Ou bien étaient-ils allés voir un homme riche vêtu comme les grands
de ce monde ? Rien de semblable. Mais Jean Baptiste restait le grand
messager, dont parle Malachie 3, quand même le Seigneur n’était pas entré dans
son temple. Un peu plus bas, Jésus, faisant allusion, non plus à Malachie 3,
mais à Malachie 4:5, ajoute : « Et si vous voulez recevoir ce que je vous
dis, celui-ci est Élie qui doit venir ». S’ils recevaient le Seigneur Jésus, le
royaume pouvait être établi, la malédiction encore suspendue sur le peuple,
écartée, les relations selon Dieu rétablies en Israël, et dans ce cas-là, une
mission future d’Élie ne serait pas nécessaire et Jean Baptiste, venu dans
l’esprit et la puissance d’Élie, remplaçait, pour ainsi dire, le prophète futur
(*). Dans ce qui suit (vers. 16-19), Jésus ne
se contente pas d’affirmer la grandeur de son messager ; en grâce, il
l’élève devant les foules au niveau de son Maître, ou plutôt se l’associe en
témoignage. Leurs deux témoignages ne se ressemblaient pas : Jean Baptiste
était figuré par ceux qui chantaient des complaintes, lorsqu’il appelait le
peuple à la repentance ; le Seigneur était comme ceux qui jouaient de la
flûte ; il apportait à tous la suave mélodie de la grâce. Le premier se
présentait dans la sévérité d’un prophète, séparé du peuple sur lequel le jugement
était prononcé ; le second se rendait familier à l’homme, afin de gagner à
Dieu, s’il était possible, la confiance des pécheurs. Ces deux témoignages
n’avaient trouvé aucun écho ; les deux témoins avaient été rejetés ;
et l’homme faisait pis que de ne pas leur répondre, il accusait Jean d’avoir un
démon, Christ de participer aux souillures de ceux qu’il venait sauver. En
rejetant la grâce, en la rejetant ainsi
, quel poids de souffrances les
hommes ont-ils accumulé sur le coeur du Sauveur !
(*) Cela explique aussi pourquoi Jean Baptiste dit aux envoyés des Juifs qu’il n’est pas Élie. En vertu de la réjection du Messie, il est réservé à un autre d’accomplir la mission de Mal. 4. Qui sera cet Élie futur ? « Élie, le prophète », est-il dit. Il faut se souvenir qu’Élie n’a pas vu la mort. Cet homme sera un digne précurseur de Celui qui viendra en jugement.
Tandis que Jean Baptiste, chancelant sous le poids du rejet et de l’opprobre, est comme un roseau agité par le vent, Christ, seul debout au milieu des ruines, demeure. Le prophète et l’homme de foi, les sages et les intelligents de ce monde, Israël avec ses villes, rien ne reste ; Lui demeure éternellement. Il demeure, non seulement dans un calme divin qui fait face à tout, mais dans une joie sereine et ineffable, alors que son coeur humain saigne et se déchire sous l’opprobre immérité. « En cette heure, Jésus se réjouit en esprit », nous dit l’évangile de Luc (10:21). Les espérances d’Israël étaient interrompues par le fait du rejet de Christ, mais cela même ouvrait d’autres horizons vastes et infinis. L’Éternel cachait sa face… le Père était révélé. Le ciel s’ouvrait, quand la terre fermait la porte à Christ. Les petits enfants, des êtres sans valeur, étaient élevés à la jouissance des bénédictions suprêmes, quand les sages et les intelligents étaient aveuglés. Le moindre dans le royaume des cieux était, désormais, plus grand que le plus grand des prophètes (vers. 11), par la jouissance de privilèges inconnus aux plus éminents d’entre les représentants de la loi. Désormais, un petit enfant serait plus près de Christ, en position, en connaissance et en gloire, que le plus grand témoin de la venue de son royaume. Je le répète, le Seigneur voit dans sa réjection le fondement des bénédictions actuelles et futures du royaume pour le peuple de Dieu. Le peuple selon la chair avait misérablement failli ; c’en était fini de tout droit au royaume selon la descendance charnelle. Désormais on s’en emparait par violence, on n’y entrait point par droit d’héritage ; il fallait, pour y avoir part, un acte nécessaire de foi, l’abandon des relations précédentes, la rupture des liens naturels.
Le peuple, en masse, s’était détourné, mais un résidu restait selon l’élection de grâce, établi en vertu de l’oeuvre accomplie à la suite du rejet du Sauveur. Ceux qui en faisaient partie n’étaient pas scandalisés en Lui ; à ces violents le royaume appartenait désormais ; enfants de la sagesse, engendrés par elle, ils justifiaient leur mère en acceptant la grâce. En ces quelques-uns, le Seigneur trouvait ses délices, et quand même son oeuvre de grâce n’aurait amené à Lui qu’une seule pauvre femme de Samarie, cela suffisait pour lui faire dire : Les campagnes sont blanches pour la moisson.
Jésus, rejeté, reste seul au milieu des décombres, ferme, assuré, rempli de joie, louant le Père, quand il n’y a plus d’espérance du côté de l’homme. Il est, non pas plus parfait (il ne pouvait l’être), mais démontré dans une perfection plus absolue, dans les circonstances mêmes qui, mettant la foi de l’homme à l’épreuve, accusaient l’insuffisance et la faiblesse de l’homme. Resté seul, une haute tour, un refuge assuré, il dit : Venez à moi. On ne pouvait aller ni à Jean Baptiste, ni à aucun autre ; les travaillés, les chargés de ce monde ne pouvaient trouver le repos qu’auprès de Christ. La grâce, qui révélait à de pauvres pécheurs le coeur du Père, ne pouvait être connue que dans sa personne. Et la paix pratique du coeur, dans l’abandon de la volonté propre, ne pouvait être réalisée que lorsqu’on l’avait apprise de Lui, l’homme parfait, soumis au joug, à la volonté du Père.
Jean Baptiste a disparu ; Celui qu’il annonçait reste seul, seul capable de répondre, en grâce, à la défaillance de son serviteur, seul capable de porter tout le poids d’une oeuvre de grâce qui pose le fondement de la nouvelle création, seul centre d’attraction pour tout pauvre pécheur qui a soif de la grâce, seul modèle parfait pour quiconque veut l’imiter.
La loi et les prophètes ont eu leur fin ; en Christ, la grâce demeure, établie pour l’éternité !
Nous ne pouvons terminer ces
méditations sans dire quelques mots sur l’issue de la carrière de Jean
Baptiste. Venu dans la voie de la justice (Matt. 21:32), il y persévère jusqu’à
la fin ; séparé pour Dieu dès le ventre de sa mère, il garde aussi ce
caractère précieux jusqu’au bout. Hérode le savait « homme juste
et saint
» (Marc 6:20). Sa justice et sa
sainteté pratiques se montrent, quand il dit au roi : « Il ne t’est pas permis
d’avoir la femme de ton frère ». Mais le témoignage des fidèles, au lieu
d’améliorer le monde, le condamne, et c’est ce que ce dernier ne peut
supporter. On trouve dans cette histoire un développement effrayant du
caractère d’Hérode, aux prises avec la vérité. La convoitise de la chair
était à l’oeuvre dans le coeur de cet homme.
Pour la satisfaire, il est conduit à l’injustice
et à la souillure.
Mis en demeure
de cesser de mal faire, le pécheur ne le peut pas ; il garde son péché en
se débarrassant du témoin qui le condamne. Hérode fait prendre, lier et
emprisonner Jean Baptiste (Marc 6:17). La violence
suit nécessairement la corruption, mais, contenue d’abord, elle fraie le
chemin au désir du meurtre
(Matt.
14:5). La conscience s’endurcit de plus en plus. Ce qui s’oppose au crime,
c’est non pas la crainte de Dieu, mais celle de l’opinion publique, et la peur
égoïste de nuire à son influence et à son prestige (Matt. 14:5). C’est aussi un
certain respect pour un homme supérieur dont on ne peut se débarrasser sans
autre forme de procès, et le profit qu’on peut tirer de ses avis pour se faire
valoir (Marc 6:20). Hérode est conduit par Hérodias, femme passionnée, dominée
par sa haine, et sentant, dans la réprimande du prophète, un affront qu’elle ne
peut pardonner ; elle aussi aurait désiré de le faire mourir (Marc 6:19),
mais elle trouve un obstacle dans les sentiments de respect d’Hérode pour Jean
Baptiste (Marc 6:20).
Les passions de ces deux
êtres convergent au même point, mais celle d’Hérode avec quelques scrupules et
de la ruse
(Luc 13:32), celle
d’Hérodias, plus énergique pour accomplir le mal et pour triompher des
obstacles.
« Un jour favorable »
arrive ; la main de Satan est là, et poussera ses instruments jusqu’à
l’action définitive. Les hommes aveuglés croient accomplir leur vo
lonté ; ils ne voient pas qu’ils sont les jouets du
diable et qu’il les mène à la guerre contre Dieu. Il ne reste qu’à faire jouer
un ou deux autres ressorts cachés dans le coeur de l’homme, et le crime sera
consommé. — Le jour est bien choisi ; c’est l’anniversaire de la naissance
d’Hérode, où sa puissance somptueuse et sa richesse sont déployées de manière à
satisfaire l’orgueil de la vie
. Les grands seigneurs, les
chiliarques, les principaux de la Galilée, entourent le roi en cette occasion
(Marc 6:21). La fille d’Hérodias entre, danse, plaît à Hérode et à ceux qui
sont à table avec lui. La convoitise des
yeux
entre avec cette jeune fille et s’empare du roi. Il promet, il
s’engage par serment : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai,
jusqu’à la moitié de mon royaume » (Marc 6:23). Poussée par sa mère, cette jeune
fille légère et sans aucune conscience, habituée à voir ses caprices obéis,
demande avec empressement (Marc 6:25), sur-le-champ
, la tête de Jean le Baptiseur.
Hérode est très attristé, mais qu’importe ? il est pris dans les filets de Satan. Au désir secret de son coeur s’ajoute, maintenant, le faux point d’honneur et la honte de manquer à sa parole devant ses courtisans. L’orgueil l’entoure comme un collier. Le diable ne lui laisse pas de temps pour la réflexion ; il s’est pleinement emparé de sa victime, et réussit enfin à étouffer le témoignage de Dieu qui s’opposait à lui. Le but est atteint ; l’instrument est laissé à lui-même et à sa misère. Quel avantage a-t-il eu de son crime ? Désormais ce dernier l’accompagnera partout. Hérode entend parler de Jésus et des miracles qu’il faisait : « C’est Jean, dit-il, que j’ai fait décapiter ; il est ressuscité d’entre les morts » (Marc 6:16). Chose frappante, cet homme endurci croit à la résurrection, comme les pharisiens, mais croire une doctrine ne donne ni satisfaction, ni repos à la conscience, c’est au contraire un moyen d’augmenter le tourment. « Il était en perplexité » (Luc 9:7). Le désir de se délivrer de cette vague épouvante qui s’est emparée de lui à la pensée de retrouver celui qu’il a tué, le fait chercher à voir Jésus (Luc 9:9), pour le tuer aussi peut-être (Luc 13:31). On préfère tout à l’incertitude. Mais l’incertitude reste malgré tout ; Hérode, quand il voit enfin le Sauveur ici-bas, ne peut voir ses miracles ni l’entendre. Il rencontre sur la terre un Christ muet, dont il n’entendra la voix que lorsque plus tard il le verra comme Juge ! (Luc 23:8-10).
Débarrassé de Jean Baptiste, Satan réussira, plus tard, à se débarrasser de Christ en faisant agir, contre Lui, d’autres ressorts dans le coeur des hommes. Mais, béni soit Dieu, Satan, trompé lui-même, n’est qu’un instrument par lequel Dieu réussit à accomplir ses desseins.
Cependant, toute cette méchanceté attire la vengeance divine. Le Seigneur exercera le jugement sur les hommes, et le Dieu de paix brisera bientôt Satan sous nos pieds. Alors aussi, les saints affligés auront du repos, et Christ sera glorifié en eux et admiré, sans restriction, dans un Jean Baptiste et dans tous ceux qui auront cru !