ÉTUDES SUR LA PAROLE :

L’ECCLÉSIASTE

par J.N.Darby


Le livre de l’Écclésiaste est, jusqu’à un certain point, l’inverse de celui des Proverbes (*). Il nous montre l’expérience de l’homme qui, gardant la sagesse afin de pouvoir en juger, fait l’essai de tout ce qu’il peut supposer propre à le rendre heureux par la jouissance de toutes les choses que la capacité humaine peut se procurer comme moyen de joie. Cette tentative a eu pour effet la découverte que tout est vanité et rongement d’esprit, et que tout effort pour être heureux par la possession de la terre, de quelque manière que ce soit, n’aboutit à rien. Il y a un ver rongeur à la racine. Plus la capacité de jouissance est grande, plus l’expérience que tout est désappointement et rongement d’esprit, est étendue et profonde. Le plaisir ne satisfait pas ; et vouloir s’assurer le bonheur dans ce monde, en étant extraordinairement juste, c’est une idée qui ne se réalise pas. Le mal est là, et le gouvernement de Dieu dans le monde, tel qu’il est, ne s’excuse pas pour assurer à l’homme le bonheur ici-bas, bonheur qui est toujours tiré des choses de la terre et qui s’appuie sur leur fermeté ; quoique en règle générale ce gouvernement protège ceux qui marchent avec Dieu : « Et qui est-ce qui vous fera du mal, si vous êtes devenus les imitateurs de celui qui est bon ? » (**). Il n’est pas fait allusion à la vérité que nous sommes morts dans nos fautes et dans nos péchés. C’est, dans l’esprit de l’écrivain, le résultat de l’expérience qu’il a faite et qu’il place devant nous : quant à ce qui nous entoure, il n’y a rien de meilleur que de jouir des choses que Dieu nous a données ; et enfin, la crainte de l’Éternel est le tout de l’homme, comme règle de sa marche ici-bas. Sa capacité, à lui, ne peut le rendre heureux, non plus que la satisfaction de sa propre volonté, même quand il dispose de tout. « Car que fera l’homme qui viendra après le roi ? » L’homme ne peut s’assurer la joie ; et une joie permanente n’existe pas pour l’homme. Par conséquent, s’il y a de la joie, c’est avec le sentiment qu’on ne peut la garder.

(*) Voyez la note sur les Proverbes, 3° paragraphe

(**) Les épîtres de Pierre, après avoir posé le fondement de la rédemption et la nouvelle naissance, s’occupent de savoir à quel degré est applicable maintenant ce qui était immédiat (en promesse) au milieu des Juifs. Dans la première épître, il y a l’application de cela aux saints ; dans la seconde, au monde et aux méchants ici-bas ; ensuite, il est question des nouveaux cieux et de la nouvelle terre.

La morale de ce livre va plus loin même que celle des Proverbes — d’un côté du moins ; car souvenons-nous qu’il s’agit de ce monde (sous le soleil). La sagesse ne vaut pas plus que la folie. Entre elles la différence est aussi grande que de la lumière aux ténèbres ; mais la même chose arrive à tous, et beaucoup de réflexions ont pour effet de nous faire haïr la vie. Le coeur se fatigue à force de sonder et après tout, on meurt comme un autre. Le monde, comme système, est ruiné, et la mort coupe le fil des pensées et des projets, et anéantit tout rapport entre le plus habile ouvrier et le fruit de son travail. Qu’y a-t-il gagné ? Il y a un temps pour tout ; il faut faire chaque chose en sa saison, et jouir, en passant, de ce que Dieu donne. Mais Dieu est le même en tout ce qu’il fait, afin qu’on le craigne. Dieu jugera le juste et l’injuste, mais, quant à ce qu’il sait, l’homme finira comme la bête ; et qui peut dire ce qu’il devient ensuite ? Il ne s’agit pas ici de la révélation du monde à venir, mais des conséquences tirées des expériences de ce qui se fait dans ce monde. La connaissance de Dieu enseigne qu’il y a un jugement ; pour l’homme, tout est ténèbres au-delà de la vie présente.


Le chap. 4 exprime le profond chagrin que causent les injustices criantes d’un monde de péché, ces torts jamais redressés dont est remplie l’histoire de notre race, et qui, pour l’âme douée d’un sentiment de justice naturelle, rendent en effet l’histoire de l’homme insupportable et produisent le désir qu’il n’y en ait plus. Le travail et la paresse apportent également leur quote-part de misère. Cependant, du milieu de ce sable mouvant où l’homme s’enfonce, on voit le sentiment de Dieu s’élever et donner un appui solide au coeur et aux pensées.


Au commencement du chap. 5, Dieu réclame de l’homme le respect. La folie du coeur est vraiment de la folie devant Lui. Dès lors nous voyons que ce qui ôte au coeur l’espérance insensée du bonheur terrestre, donne plus de vraie joie au coeur qui devient sage, et par conséquent joyeux, en se séparant du monde. Il y a donc aussi la grâce de la patience. L’effort prétentieux d’être juste n’aboutit qu’à la honte ; se remuer pour le mal n’aboutit qu’à la mort. Enfin, c’est travailler en vain que de s’efforcer d’acquérir la sagesse par la connaissance des choses d’ici-bas. L’Écclésiaste a trouvé deux choses : ayant jugé la femme d’après l’expérience de ce monde, il n’en a point rencontré de bonne, tandis qu’il a trouvé un homme entre mille ; en un mot, Dieu a fait l’homme droit, mais il a cherché beaucoup de raisonnements loin de Lui.


Il faut respecter Dieu et celui à qui il a donné l’autorité, le roi. On voit encore aux chap. 9 et 10, combien peu les choses répondent à la capacité apparente de l’homme ; et même, si cette capacité est réelle, combien peu elle est estimée. Cependant la sagesse du juste et la folie du fou portent chacune leurs conséquences, et Dieu juge après tout. En résumé, il faut se souvenir de Dieu, et cela avant que la faiblesse et la vieillesse nous atteignent ; car la conclusion évidente de tout ce qui a été dit, c’est : « Crains Dieu, et garde ses commandements ; car c’est là le tout de l’homme ».


Le principal sujet de ce livre, c’est donc la folie de tous les efforts de l’homme dans la recherche du bonheur ici-bas. Il montre aussi que la sagesse, qui juge tout cela, ne fait que rendre l’homme encore plus malheureux. Puis, toute cette expérience de l’homme de la plus haute capacité est mise en contraste avec le simple principe de toute vraie sagesse, savoir la soumission et l’obéissance à Celui qui sait tout et qui gouverne tout, parce que : « Dieu amènera toute oeuvre en jugement ».


Si l’on se souvient que c’est là l’expérience de l’homme, que ce sont les raisonnements de l’homme sur ce qui se passe sous le soleil, on ne verra aucune difficulté dans les passages qui ont l’apparence de l’incrédulité. L’expérience de l’homme est nécessairement incrédule. Il confesse son ignorance ; car au-delà de ce qu’on peut voir, elle ne peut rien savoir. Or la solution de tous les problèmes moraux est au-dessus et au-delà de ce qu’on voit. Le livre de l’Écclésiaste rend cela manifeste. La seule règle de vie donc, c’est de craindre Dieu qui dispose de la vie, et qui juge tout ce que l’homme fait tous les jours de la vie de sa vanité. Il ne s’agit ici ni de grâce, ni de rachat, mais de l’expérience de la vie prescrite et de ce que Dieu a dit à cet égard, c’est-à-dire de sa loi, de ses commandements, et du jugement qui suivra — ce qui est ordonné aux hommes.

C’est ce qu’un Juif sous la loi pouvait dire, après avoir fait l’expérience de tout ce que Dieu pouvait donner à l’homme pour le favoriser dans cette position, et en vue du jugement de Dieu qui en dépendait.

Dans les Proverbes, nous avons une direction pratique et morale à travers le monde ; l’Écclésiaste donne le résultat de tous les efforts de la volonté de l’homme pour trouver le bonheur par tous les moyens dont il dispose. Mais, dans toutes les recherches auxquelles se livre l’Écclésiaste, il n’y a ni relation d’alliance, ni révélation. C’est l’homme avec ses facultés naturelles, tel qu’il est, ayant sans doute la conscience de ce qu’il a à dire à Dieu, mais cherchant, par ses propres pensées, où il peut trouver le bonheur. Seulement il faut admettre que la conscience a sa part dans la question et que la crainte de Dieu est reconnue à la fin. Dieu est réellement reconnu, mais on trouve ici l’homme dans le monde avec la pleine expérience qu’il a de tout ce qui s’y trouve.